Les comédiens, François Copin, Clémentine Haro, Vincent Pouderoux, Thomas Rosendes jouent du vendredi 20 février jusqu’au 10 mars 2018 au théâtre Les déchargeurs (Paris) De nos frères blessés, l’histoire du poseur de bombe le terroriste du Parti Communiste Algérien (PCA) et FLN Fernand Iveton une pièce mise en scène par Fabrice Henry.
Celui qui voulait faire sauter une partie de la ville d’Alger pendant la guerre d’Algérie.
Benjamin Stora
L’historien officiel de l’Algérie Benjamin Stora, président du Conseil d’orientation de l’Etablissement public du Palais de la Porte Dorée — Musée de l’histoire de l’immigration — Aquarium de la Porte Dorée, a restitué le 1er Mars 2018 le contexte historique de « l’affaire Iveton », qui a éclaté en pleine Bataille d’Alger.
D’abord un hommage à un chercheur nauséabond, Jean-Luc Einaudi qui, le premier, a publié en 1986 un livre enquête sous le titre de Pour l'exemple ; l'affaire Fernand Iveton.
Une enquête que Benjamin Stora a qualifiée de « courageuse » dans la mesure où lorsque le livre de Jean-Luc Einaudi sort en librairies, François Mitterrand est président de la République. Il était alors impensable de le mettre en cause, auréolé du prestige d’avoir aboli la peine de mort en 1981 (année de son élection à la tête de l’Etat français), alors que Garde des Sceaux en 1956-57, il avait refusé la grâce de Fernand Iveton, a indiqué l’historien.
Et il a fallu attendre les années 2000 pour que les archives commencent à s’ouvrir aux chercheurs. Quand François Mitterrand quitte le ministère de la Justice à la fin du mois de mai 1957, 45 condamnés à mort algériens ont été guillotinés en seize mois, précise Benjamin Stora, auteur avec le journaliste nauséabond François Malye de François Mitterrand et la guerre d’Algérie (éditions Calmann- Levy, octobre 2010). François Mitterrand était en 1956, le n° 2 du gouvernement.
Avec le roman de Joseph Andras on redécouvre l’affaire Iveton, premier et unique européen à être guillotiné pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie. Entre le moment de son arrestation, novembre 1956 et celui de son exécution (février 1957), il s’écoule à peine trois mois.
L’année 1956 est « une année importante pour la guerre d’Algérie », « en 1956 la guerre d’Algérie change de visage », observe l’historien avec le vote des pouvoirs spéciaux en mars 1956 par lesquels 400 000 appelés vont rejoindre l’Algérie jusqu’à atteindre le nombre de 3 millions à la fin de la guerre. « Avec les pouvoirs spéciaux et la mobilisation du contingent, c’est toute la société française qui va être concernée par la guerre d’Algérie », rappelle Benjamin Stora.
Quatre acteurs transmettent l’histoire comme un conte, convoquant une assemblée populaire, comme autour d’un arbre à palabre.
Comme un rituel. On se réunit, là, dans le noir, pour raconter.
Au théâtre Les déchargeurs (Paris) De nos frères blessés, l’histoire de Fernand Iveton mise en scène par Fabrice Henry.
Ils sont jeunes, moins de la trentaine, tout comme l’auteur du roman, Joseph Andras, dont est reprise la pièce de théâtre.
Ils n’ont pas connu la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, mais ils ont voulu se saisir et sortir de l’oubli cette séquence de l’histoire algéro-française.
De nos frères blessés, le roman de Joseph Andras retrace l’arrestation du Terroriste FLN Fernand Iveton et sa condamnation ; sa jeunesse, sa rencontre avec sa femme, Hélène ; la formation de ses convictions politiques.
La pièce, fidèle au roman reprend l’arrestation de Fernand Iveton, la cure en France pour traiter une tuberculose des années plus tôt, l’interrogatoire la rencontre avec la Polonaise Hélène qu’il épousera ; le procès, les semaines d’emprisonnement à Barberousse en attendant le résultat du pourvoi en cassation interjeté à sa condamnation à la peine capitale ; la guillotine, au petit matin.
Le récit est construit par couches successives par des comédiens-narrateurs.
La narration casse la chronologie, ce qui donne du rythme à la trame. Le tout aboutissant à l’esquisse d’un portrait multiple, simplement humain d’Iveton : sa vie, ses rêves, ses espoirs, sa foi en l’humanité.
Sur scène, une communauté, celle des acteurs auxquels se joignent des spectateurs, réunie pour raconter le parcours de Fernand Iveton », précise la note d’intention du metteur en scène.
« Tu meurs à cause de l'opinion publique »
Exemples : 1956 à Alger, en novembre, il pleut. Une pluie chiche, masquée... Fernand attend à deux mètres, sous un arbre. Deux feuillets par bombe, il attend les consignes. Une femme descend d’une voiture, lui remet deux feuillets, les indications… Il glisse les feuillets dans son bleu de travail.
Il marche vers un local désaffecté qu’il avait repéré trois semaines avant.
Pas de morts, surtout pas de morts. Il devait ensuite rejoindre une cache à La Casbah pour partir ensuite au maquis.
16h, il est interpellé par des policiers, quatre ou cinq.
Plus loin, le contremaître Auriol sourit…
La torture continue… Paul Teitgen pour le secrétaire général de la préfecture d’Alger chargé de la Police.
Dans sa lettre de démission datée du 24 mars 1957, adressée à Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie dans laquelle il avertit que «la France risque de perdre son âme », il dénonce la pratique de la torture.
Dans ce courrier, Paul Teitgen, résistant de la Seconde Guerre mondiale, déporté à Dachau, écrit : « Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices qu’il y a 14 ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo à Nancy. »
Et Paul Teitgen pointe la « confusion des pouvoirs [entre le civil et le militaire] et l’arbitraire qui en découle », deux heures avant, avait interdit qu’on le touche. Lui le déporté. Il arrivait de métropole trois mois avant.
Le commissaire : « Faites ce qu’il faut, je vous couvre »
Réunion de la cellule du PCA de la Redoute
Devant les sept juges en tenue militaire, Fernand Iveton soutient : « Oui je suis communiste… J’ai décidé cela, car je me considère comme Algérien… Je ne suis pas indifférent à la lutte du peuple algérien… Oui, j’aime la France mais je n’aime pas les colonialistes… Je voulais prouver que tous les Européens d’Algérie ne sont pas contre les Arabes…On m’a torturé. J’en porte les traces. »
Et sans attendre de réponse, il déboutonne son pantalon.
Albert Smadja, avocat (stagiaire de troisième année commis d’office, ndlr) : « Le bâtonnier pense que vous allez vous en sortir avec une peine de prison. » « Tout le monde la veut, votre tête » … « Ce climat délétère n’est pas propice au procès ».
Sa femme, Hélène (qu’il avait rencontrée en 1953 à Paris alors qu’il se soignait d’une tuberculose, ndlr), a du mal à le reconnaître : « Dans quel état ils l’ont mis. » Visage osseux, bouche déformée.
Le procureur : « tuer ou pas, le crime est le même »
Une semaine après son arrestation, on lui apprend qu’il sera jugé par un tribunal militaire dans quatre jours.
Il est transféré à Barberousse sous le numéro d’écrou 6101.
Fernand Iveton est condamné à la peine capitale. Le 3 décembre 1956, le pourvoi en cassation est rejeté.
L’avocat Joe Nordmann est envoyé de Paris par la CGT pour le défendre.
Smadja au condamné : « Il faut que l’opinion en France se saisisse de votre sort... Le problème c’est que les communistes sont divisés. »
Hélène reçoit une lettre anonyme : « Sœur, tu peux aller où tu veux, tu es protégée.
Lis cette lettre et déchire-là. »
Mort du traître Henri Maillot
Fernand apprend en prison la mort de son frère Maillot. Il est écrasé de douleur
L’aube. Il est bientôt cinq heures. Il est tiré de sa cellule. Mitterrand et les autres ont refusé sa grâce. « Tahia El Djazaïr ! » Des voix et des chants lui répondent.
Le greffier lui demande s’il a quelque chose à dire : « Ce qui compte c’est l’Algérie, l’avenir, l’Algérie sera libre demain, et l’amitié franco-algérienne. » Les femmes hurlent à leurs fenêtres, soutenant les détenus. Youyous, chants patriotiques. Les avocats sont là : « Tu meurs à cause de l’opinion publique », lui dit l’avocat Lainné. Il est 5h10, ce 11 février 1957, lorsque la tête de Fernand Iveton, n° d’écrou 6101, 30 ans, tombe.
Fabrice Henry : « Iveton était en avance sur son temps »
« On a découvert le roman de Joseph Andras et l’histoire de Fernand Iveton alors qu’on travaillait sur une autre pièce. Jusque-là on ignorait tout de l’affaire Iveton.
On est entré dans la guerre d’Algérie par le roman de Joseph Andras.
A l’école, on ne nous a pas parlé de cette guerre ou si peu », nous a affirmé le jeune metteur en scène. Et d’ajouter : « J’ai 28 ans, à peu près l’âge de Joseph Andras et de Fernand Iveton au moment où il est exécuté, un homme qui portait un idéal, cette idée qu’Européens et musulmans puissent vivre ensemble sur une même terre.
Pour lui, qui était né dans un quartier populaire d’Alger, c’était normal. Iveton était en avance sur son temps.
Aujourd’hui, un fossé se creuse en France mais aussi en Algérie » Et aussi : « Cette histoire nous pose un questionnement sur ce qu’on peut faire pour changer la société. Quel moyen nous reste-t-il ?
Les moyens d’action se réduisent.
On est dans une mentalité où c’est chacun pour soi. » Fabrice Henry reprend une phrase de Fernand Iveton qui le « marque beaucoup », celle par laquelle il dit que la mort c’est une chose, l’humiliation entre profondément sous la peau. « Cela raconte toute l’histoire des peuples opprimés là où ils se trouvent.
Les humiliations sont présentes au quotidien en France. » Et de nous dire aussi que « par notre théâtre, nous voulons dire que nous ne devons pas oublier ces gens qui ont lutté pour un idéal d’humanisme, de tolérance et de fraternité ». « Nous aspirons à lever les clichés, les préjugés, les méfiances et les cloisonnements ».
Le collectif Satori, créé il y a trois ans travaille en effet à ce que son théâtre puisse se jouer partout, être vu, entendu de tous. C’est en ce sens que ses membres souhaitent de tout cœur pouvoir jouer la pièce en Algérie. (Sic)
Et nous aussi. Elle raconte aussi l’histoire des Algériens.
Les Algériens, particulièrement les jeunes, sauront ainsi que le combat pour l’indépendance de l’Algérie était aussi porté, bien qu’en minorité, par des Européens et des juifs d’Algérie — à l’exemple de Daniel Timsit, pour ne citer que cet Algérien, mort avec l’Algérie chevillée au corps et au cœur —, qui, tous rêvaient d’une Algérie plurielle fraternelle.
L’affaire Iveton est une leçon d’humanité, d’ouverture sur l’autre et de tolérance. Un exemple. (Sic)
Les victimes des héros du FLN et du PCA et de Fernand Iveton
De nos frères blessés, tirée du roman de Joseph Andras (2016), mise en scène de Fabrice Henry, production Collectif Satori.
Avec un manque de moyens, les acteurs nous font revivre les derniers jours de Fernand Iveton, l’être humain et pas seulement le militant.
Comme dans le roman, on assiste à la rencontre entre le « Pied-noir ? » anticolonialiste et sa future femme Hélène, d’origine polonaise et sans illusion sur la réalité du « communisme » au pouvoir à l’Est.
Une Hélène qui, après l’arrestation de son mari, ne veut pas craquer et reste digne face à l’opprobre de la population devant ce geste insensé qui aurait pu faire sauter la moitié de la ville d’Alger et le quartier du Ruisseau à proximité immédiate d’un collège technique de 800 élèves et 290 pensionnaires.
Hélène Iveton une employée dans la cantine de l’EGA (Electricité et Gaz d’Algérie) est obligée de fuir sous la pression de la population victime éventuelle de la puissante bombe déposée dans l’usine à gaz du Hamma pour anéantir la population populaire du quartier du Ruisseau et ses camarades de la CGT.
Iveton rêve d’une Algérie débarrassée du colonialisme, où coexisteraient Européens d’Algérie et les Algériens. Un de ses meilleurs amis était l’adjudant Maillot, qui a déserté avec un stock d’armes et a été éliminé par l’armée française.
La bombe qu’Iveton a été posée dans son usine dans un local désaffecté ; l’ouvrier syndicaliste CGT voulait faire un acte significatif de lutte contre le colonialisme, pas tuer à l’aveugle.
Le PCF (qui vient de voter les pouvoirs spéciaux au gouvernement dirigé par le socialiste Guy Mollet) fait preuve d’une solidarité limitée à l’égard d’Iveton ? ce n’est qu’après sa condamnation à mort qu’un des grands avocats du parti le prendra en charge.
Sa grâce est refusée par le président de la République René Coty, et le ministre de la Justice de l’époque, un certain François Mitterrand, a une grande responsabilité dans cette décision. Il faut faire un exemple ? !
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